Outil particulièrement impopulaire, l’augmentation de la fiscalité du tabac est un sujet sur lequel les opinions se déchaînent et divergent.
Une mesure de santé publique avérée
D’un côté, les acteurs de la filière tabac dénoncent la mesure en soutenant qu’elle n’a aucun effet avéré ; de l’autre les acteurs de santé publique soutiennent un dispositif efficace, recommandé par la littérature scientifique internationale. Au centre, le consommateur voit les prix augmenter, et ne saisit pas forcément les tenants et aboutissants de cette mesure de santé publique. La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac (CCLAT) la recommande, la Banque mondiale la plébiscite, les acteurs de la prévention l’appellent de leurs vœux…
Il ne s’agit pas seulement d’une lubie des acteurs de la santé publique.
L’augmentation de la fiscalité du tabac est considérée comme l’une des mesures les plus efficaces, dont les effets bénéfiques peuvent être largement évalués et mesurés.
Les produits du tabac ne sont pas des produits de consommation courante anodins :
- leurs effets sur la santé de leurs utilisateurs notamment,
- les conséquences écologiques qu’ils génèrent,
- les coûts sanitaires et sociaux abyssaux engendrés, plaident pour un dispositif à la hauteur des enjeux.
N’oublions pas que le tabac est la principale cause des cancers, maladies respiratoires et cardio-vasculaires, et reste la première cause de mortalité évitable dans notre pays.
Si la prévalence diminue depuis plusieurs années en raison de la mise en place de mesures coordonnées et efficaces en matière de prévention, de communication et d’accompagnement, la France déplore encore 75 000 décès du tabagisme chaque année.
Impacts d’une augmentation significative des prix
Alors que l’industrie du tabac recherche activement à initier chaque année près de 200 000 jeunes au tabagisme (pour remplacer les consommateurs décédés), l’action sur les prix des produits du tabac a un quadruple effet, que l’on pourrait appeler la « win-win situation » :
- si l’augmentation de prix est significative (on évoque souvent 10 %), elle a un impact dissuasif sur la consommation des jeunes consommateurs (elle les empêche de tomber dans le tabagisme ou les décide d’arrêter) ; et les plus défavorisés sont incités à se tourner vers l’alternative du sevrage ;
- les phases d’augmentation des prix sont l’occasion pour les autorités sanitaires de mieux sensibiliser les fumeurs et leur entourage, afin qu’ils réfléchissent à leur tabagisme, au poids économique du tabac dans leurs budgets, aux conséquences sanitaires sur leurs proches ;
- malgré la diminution des ventes de tabac, l’État, principal percepteur des taxes (~82 % sur les cigarettes), voit augmenter ses recettes , alors que le coût social du tabac grève toujours le budget de la sécurité social : 25 milliards de dépenses annuelles contre 15 milliards de recettes fiscales par an ;
- les buralistes, qui touchent une redevance de près de 10 % sur près de chaque paquet vendu, augmentent leur rémunération malgré la diminution du nombre de paquets vendus.

On observe la corrélation “augmentation des prix” avec une diminution du volume des ventes. Le prix a doublé en l’espace de 15 ans, entraînant une chute de 30% des ventes de cigarettes.
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Atteindre 10€ par paquet de cigarettes : un objectif de santé publique
Initiée en corrélation avec d’autres mesures de santé publique, telles que l’amélioration de l’accompagnement des fumeurs qui se tournent vers l’arrêt, l’augmentation des prix du tabac est un outil indispensable pour faire diminuer la prévalence dans notre pays.
Le tabac n’étant pas un produit comme un autre, dans la mesure où il tue un consommateur sur deux, l’objectif suivant a été initié en 2017 : que le paquet de cigarettes atteigne d’ici fin 2020, le prix plancher de 10 €, tout en renforçant l’arsenal de prévention, de formation des professionnels de santé et d’aide au sevrage tabagique.
Les prix des cigarettes ont donc été peu à peu augmentés, en six étapes depuis 2018, au rythme de deux fois par an.
Ce 1er novembre 2020, la dernière marche de cet objectif a été franchie. La fourchette de prix des différents paquets de cigarettes vendus sur le marché français s’étend de 9,50 € à 10,50 € en moyenne.
Spécificité corse : une harmonisation de la fiscalité avec la métropole est nécessaire
Et n’oublions pas l’exception corse, qui fait notamment de la région PACA la plus mauvaise élève de France en matière de prévalence tabagique. L’Île de beauté dispose d’une exception, renouvelée en 2012, puis en 2015, par les parlementaires français, qui rend la pression fiscale sur les produits du tabac moins importante que celle pratiquée en métropole.
Une aberration sanitaire qui coûte cher à la France puisque notre pays paie des amendes à l’UE en raison de l’absence de conformité de l’ensemble de ses prix sur le territoire.
Il est normalement prévu que les prix corses soient désormais peu à peu relevés pour rejoindre ceux pratiqués sur le continent, d’ici 2022.
10€ par paquet, et ensuite ?
Alors que la 5e édition du Moi(s) sans tabac a démarré début novembre, le défi à relever est encore immense : si les cigarettes ont subi une augmentation significative, les prix des autres produits du tabac n’ont pas été augmentés pour autant.
Citons par exemple le tabac à rouler, les cigarillos ou le tabac à chicha, dont les prix restent relativement attractifs, faisant de ces produits une porte d’entrée vers le tabagisme pour les jeunes consommateurs notamment…
Ainsi, avoir atteint en moyenne le prix de 10 € par paquet prouve la volonté de nos autorités de tacler le tabagisme, mais il ne s’agit pas d’un but ultime.
Tout doit être à nouveau mis sur la table pour réfléchir à comment la fiscalité des produits du tabac pourrait contribuer, d’ici 2032, à favoriser l’émergence des futures « Générations sans tabac ».
Clémence Cagnat-Lardeau, Directrice du Souffle 84 – CDMR du Vaucluse